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HISTOIRE ET ARCHEOLOGIE
L'ANTICHRIST N'EST PAS UN JUIF DE LA TRIBU DE DAN
Ecrit par Marie-Christine Collas, le 22/08/2016.
Source http://www.islam-bible-prophecy.com/apocalypse/
Une idée fort répandue dans les milieux eschatologiques est celle d’un Antichrist juif de la tribu de Dan. Lorsque l’on remonte les dépendances des auteurs, on découvre que cette idée a déjà été porté par le Père de l’Église Irénée de Lyon (~130-202). Il est bien connu de tous les experts en eschatologie, comme étant un des premiers Pères de l’Église à avoir développé un discours sur la fin des temps. Ce discours se trouve dans le Traité contre les hérésies au livre V.(1) Irénée y développe une position de type prémillénariste. Beaucoup d’auteurs prémillénaristes citent Irénée de Lyon pour confirmer leurs propres travaux.
A. Les arguments d’Irénée
1. L’Antichrist serait juif. Puisque les juifs attendent un Messie juif à la fin des temps et que le Messie chrétien Jésus de Nazareth est déjà venu, ce Messie juif ne peut être qu’un faux messie, un antichrist.
2. L’Antichrist sera de la tribu de Dan. « C'est cela même que dit l'Apôtre : « Quand ils diront : Paix et sécurité, c'est alors qu'une ruine soudaine fondra sur eux [63]. » De son côté, Jérémie, non content de souligner la soudaineté de sa venue, avait fait connaître la tribu d'où il sortirait : « Depuis Dan nous entendrons le bruit de la course de ses chevaux; au bruit du hennissement de ses coursiers toute la terre sera épouvantée ; et il viendra, et il dévorera la terre et ce qu'elle renferme, la ville et ceux qui l’habitent [64]. » C'est pour cette raison que la tribu de Dan n'est pas comptée, dans l'Apocalypse, parmi celles qui sont sauvées [65]. » (Contre les hérésies, livre V, 30,2) (2)
B. Pourquoi la tribu de Dan ?
Examinons les versets évoqués par Irénée. L’argument de Jérémie 8.16.
« On entend depuis Dan les chevaux qui hennissent.En entendant hennir les fougueux talons, toute la terre tremble.Les voici, ils arrivent, dévorant le pays et tout ce qu'il contient,la ville et tous ses habitants. » (Jérémie 8.16)
L’examen du chapitre 8 indique que l’Éternel va punir Jérusalem en raison de ses péchés en envoyant une armée qui viendra s’emparer des biens, des récoltes, des épouses, accompagnée d’animaux venimeux. Pourquoi Dan ? Dan est à l’extrême nord d’Israël (anciennement Laïch), et l’expression « de Dan à Beersheba » signifie Israël du Nord au Sud, comme nous dirions de Lille à Marseille. Étant à l’extrême nord, Dan est donc un poste avancé, sentinelle de tout le pays. Le grondement des chevaux n’est pas imputable à la tribu de Dan, mais à l’ennemi (Babylonien à l’époque de Jérémie) qui avance inexorablement. L’ennemi eschatologique viendra du nord de Dan, soit la Syrie, l’Assyrie, la Turquie, l’Irak ou l’Iran, les voies de circulation passant par le croissant fertile. L’argument de Jérémie 8.16 n’est donc pas recevable.
L’argument d’Apocalypse 7.5-8. « 5 douze mille de la tribu de Juda marqués du sceau, douze mille de la tribu de Ruben, douze mille de la tribu de Gad, 6 douze mille de la tribu d'Aser, douze mille de la tribu de Nephtali, douze mille de la tribu de Manassé,7 douze mille de la tribu de Siméon, douze mille de la tribu de Lévi, douze mille de la tribu d'Issacar,8 douze mille de la tribu de Zabulon, douze mille de la tribu de Joseph, douze mille de la tribu de Benjamin, marqués du sceau. » (Apocalypse 7.5-8)
Irénée a fort justement remarqué l’absence de la tribu de Dan dans la liste des 144 000 élus. Pour obtenir 12 tribus sans éliminer celle de Lévi, il aurait fallu fusionner Ephraïm et Manassé en tribu de Joseph, mais ce n’est pas ce que l’auteur a écrit. Il manque bien Dan. Pourquoi manque-t-il Dan ? Pour Irénée à l’évidence, ce serait un signe de son caractère antichristique.
A l’appui de cette thèse, on remarquera aussi l’absence de Dan dans la liste des tribus de 1 Chronique 4-7. Avait-elle déjà disparu ?
Cristian Bădiliță (Métamorphoses de l’Antichrist chez les Pères de l’église, 2005, page 175) (3) affirme que Dan avait déjà mauvaise réputation dans la littérature juive ou chrétienne en s’appuyant sur Dt 33.22, Gn 49.17, Jg 18.11-31. Une partie de la tribu de Dan, originellement établie dans le sud-ouest du pays, n’avait pu déloger les Cananéens et avait migré vers le nord en s’emparant de Laïch par la violence et de l’idole de Mika au passage. Le symbole de la tribu est le serpent.
« Que Dan soit un serpent sur le chemin,qu'il soit une vipère sur le sentier,mordant les jarrets du cheval,pour que le cavalier en tombe à la renverse. » (Gen 49.17)
Comme les autres tribus du nord, la tribu de Dan a été déportée et dispersée par les Assyriens en 722 av JC. La légende prétend que trois tribus, dont celle de Dan, sont parties vers l’Afrique. D’autres recherches suivraient à la trace cette tribu qui aurait la particularité de renommer les lieux de son nom (« l’Irlande appellent certains des tous premiers habitants de l’Ile les « Tuatha de Danann » (4) ; « Chypre (appelée “Ia-Dnan”, ou l’Ile de Dan) (5), le Danube, les Dardanelles, Dantzig et le Danemark. » The Story of Celto-Saxon Israel, Bennett, pages 76-79) Ces dix tribus du nord sont difficiles à retrouver, mais celle de Dan pas plus que les autres. (6)
La tribu de Dan serait-elle maudite ? Non, bien évidemment. Le texte d’Ézéchiel 48.1 mentionne cette tribu en premier dans la répartition du territoire d’Israël.
« ---Voici les noms des tribus: Dan recevra une part qui ira de l'extrémité septentrionale le long de la route de Hetlôn à Lebo-Hamath, jusqu'à Hatsar-Enôn, le territoire de Damas étant au nord, près de Hamath, donc de la limite orientale à la limite occidentale. » (Ézéchiel 48.1)
Cette distribution du territoire se fera dans les temps messianiques décrits par Ézéchiel, lorsque du nouveau Temple sortira ce fleuve depuis Jérusalem vers le Jourdain. Il est précisé que la tribu de Joseph aura deux parts :
« 13 ---Voici ce que déclare le Seigneur, l'Éternel: Vous délimiterez les lots du pays pour le partager entre les douze tribus d'Israël de la façon suivante. Les descendants de Joseph auront deux parts. » (Ézéchiel 47.13)
Dans cette distribution, c’est la tribu de Lévi qui n’est pas au nombre des douze mais qui a sa part au milieu de Juda :
« 22 Ainsi le prince occupera tout l'espace compris entre la frontière du domaine de Juda et celle de Benjamin, la propriété des lévites et celle de la ville étant au milieu des terres du prince. » (Ez 48.22)
Ézéchiel affirme bien que les 12 tribus plus celle de Lévi seront présentes dans ce règne du Prince, le Messie.
Le rédacteur de l’Apocalypse se trouve dans la difficulté de faire figurer le symbolisme de 12 000 membres de 12 tribus sans oublier Lévi, tout en conservant la double part de Joseph. Ce qui est mathématiquement impossible est possible symboliquement. Symboliquement tout Israël est présent sans omission.
Ce qui veut dire que vouloir insister sur l’absence de Dan, c’est forcer le texte. Cet argument-là n’est pas non plus recevable.
C. Pourquoi juif ?
Irénée semble partir du principe que l’Antichrist est juif.
Qu’est-ce qu’un juif ? Il est très complexe de définir qui est juif ou non. L’article correspondant de Wikipédia nous en donne une bonne idée. Étymologiquement juif vient du mot « yehoudim », judéen, habitant de la Judée, à l’époque biblique.
Qui vivait en Judée à l’époque biblique ? Les membres de la tribu de Juda, de la petite tribu de Benjamin et une partie des Lévites qui étaient répartis entre toutes les tribus. Ceux-là avaient proclamé comme roi le roi David les premiers, avant qu’il ne devienne roi de tout Israël 7 ans plus tard. Le royaume d’Israël avec les dix autres tribus a été dispersé dans le monde entier par le roi d’Assyrie et n’est pas revenu. Le royaume de Juda a été emmené en captivité à Babylone et est revenu peupler la Judée.
À l’époque du nouveau testament, ceux qu’on appelle les juifs sont donc des membres de la tribu de Juda ou Benjamin ou Lévi. Auxquels il faudrait rajouter des descendants de mariages mixtes avec des prosélytes, et quelques descendants d’autres tribus qui auraient pu revenir individuellement. Les autres habitants de la Judée, étrangers appelés « grecs » ou « gentils », occupants romains, ne sont pas appelés juifs. Les nombreux juifs dispersés dans la diaspora sont appelés juifs aussi par les autres peuples, sans tenir compte de la tribu.
Pourtant, les relations conflictuelles entre les premiers chrétiens qui suivent Jésus et les Pharisiens qui les persécuteront font que les chrétiens vont désigner par l’appellation « les Juifs » ceux d’entre eux qui ne reconnaissent pas Jésus comme le Messie.
Après la destruction du temple en 70, les juifs dispersés dans toute la diaspora essaient de reconstruire le judaïsme autour de leur religion et leur culture, sous la direction du parti des pharisiens. Ils essaient de se démarquer des chrétiens autant que possible.
Pour Irénée de Lyon, le terme « juif » désigne donc un descendant de l’une des douze tribus d’Israël (dont celle de Dan) vivant en diaspora et opposé aux chrétiens.
Pourtant tout indique le contraire. Certains (mais Irénée ne donne pas cette raison), pensent que l’Antichrist doit être juif pour entrer dans le Temple. Mais ce n’est pas ce que dit la Bible.
Les préfigurations de l’Antichrist dans les prophètes de l’ancienne alliance décrivent l’Antichrist comme l’Assyrien, ou Gog de Magog (Turquie), ou le roi du Nord, ou la petite corne au sein d’une coalition de dix rois ennemis d’Israël, aucun juif ne figure dans ces descriptions, uniquement des ennemis d’Israël.
Le premier homme à accomplir la prophétie de la petite corne a été Antiochus Épiphane, non juif. Le suivant a été Titus, non juif. Ces deux-là ont pourtant profané le Temple et ces événements n’étaient pas inconnus d’Irénée.
Pourquoi Irénée pense-il cela ? Il est important de noter le contexte dans lequel vit Irénée. Tout d’abord du côté juif, les rabbins tentent de recréer la communauté juive dispersée après la destruction du Temple en 70. Dans les années qui suivent va s’élaborer le canon de l’Ancien Testament. Le concile de Jamnia (entre 70 et 135 ?) y prendra les premières décisions concernant le Canon. Ce même concile va considérer (en 135) comme secte les juifs ayant reconnu Jésus de Nazareth comme le messie d’Israël (les Nazôréens) et leur interdire les synagogues. Les juifs messianiques devront oublier leur judaïcité et se fondre dans l’Église. Les relations entre Juifs et chrétiens vont être de plus en plus tendues.
Du côté chrétien, le canon du nouveau testament n’est pas encore fixé avant 382 (synode de Rome) et se poursuivra encore après. Irénée a activement participé à la discussion sur les 4 évangiles à retenir (Traité contre les hérésies, livre III). Il a aussi combattu l’hérésie de Marcion. Par ailleurs on vit dans un contexte de persécution intense puisqu’Irénée va prendre la suite de l’évêque Polycarpe de Lyon, mort parmi les célèbres martyrs de Lyon en 177.
Dans ce contexte tendu entre les chrétiens non juifs et les juifs dispersés, un antisémitisme certain s’est développé dans l’Église. L’Église occidentale est devenue exclusivement d’origine non-juive, alors que les juifs messianiques, les nazoréens se répandaient vers l’orient. Les juifs attendaient un Messie juif, les chrétiens aussi. Mais puisque les deux ne pouvaient s’entendre, il était convenu que le Messie des Juifs ne pouvait être qu’un faux Messie, que l’Antichrist.
« Dans un article de 1995, « Antichrist from the tribe of Dan » (7), C.E. Hill analyse la constitution, dans les milieux chrétiens, de cette tradition qui parle de la tribu de Dan comme lieu de naissance de l’Antichrist. Le chercheur américain pense que ce n’est pas du tout par hasard que ce mythème apparaît au IIe siècle. En effet, le conflit entre les Juifs et les chrétiens, entre la Synagogue et l’Église atteint à cette époque-là son apogée. Un rôle important y aurait été joué par la christologie dualiste de Marcion. Hill insiste sur le fait que Marcion ne se contente pas de distinguer entre un Dieu bon et miséricordieux, des Évangiles, et un Dieu juste et terrible, de l’Ancien testament, mais tranche aussi entre le Messie des chrétiens, qui a été crucifié, et celui des Juifs, qui viendra à la fin des temps (8). La croyance en ces deux messies opposés, voire ennemis, marqua, d’une certaine manière la christologie du IIe siècle (9), et il est tout-à-fait naturel qu’à partir d’elle une autre théorie complémentaire, prenne naissance, celle de deux antichrists, l’un Juif et l’autre païen. Commodien, d’ailleurs, les distinguera comme tels (10). Pour sa part, Irénée et, après lui, Hippolyte, les confond en un seul et unique personnage. (11) » (12) ( Cristian Bădiliță, p. 174)
Pour plus d’arguments sur ce débat, voir Cristian Bădiliță, Métamorphoses de l'antichrist chez les pères de l'église, éd. Beauchesnes, 2005.
Conclusion
Il est tentant de désigner l’Antichrist comme juif, sans plus de démonstration, au lieu de creuser davantage les prophéties d’Esaïe, Daniel, Ézéchiel ou Michée.
Malheureusement encore aujourd’hui nous relevons toujours dans la littérature apocalyptique moderne cette idée que le Messie attendu par les juifs ne peut être le Messie attendu par les chrétiens, alors que clairement les textes du Nouveau testament renvoient à leurs références dans l’Ancien !
Sans surprise beaucoup de ceux qui font du Messie leur antichrist juif sont antisionistes, qu’ils soient catholiques, ou protestants, ou musulmans (ils le nomment le Dajjal) (13). L’inverse se voit aussi, l’Antichrist, c’est l’autre ! Inutile de dire que cette démarche n’est pas rigoureuse. Ni celle qui consiste à copier-coller les conclusions des pères de l’Église au prétexte qu’ils auraient vécu plus près des origines. Eux aussi font des erreurs.
Le vrai Messie sera Juif et il s’appelle Yeshua (Jésus de Nazareth). L’Antichrist qui le précédera, l’impie, l’homme de l’iniquité, sera issu des nations qui entourent Israël et qui actuellement sont toutes sous l’influence de l’Islam, système politique et religieux antijuif et antichrétien. (14)
Sources:
(1) http://eschatologie.free.fr/livres/LAntechristIrenee.htm ou http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/irenee_de_lyon.html
(2) Idem 30,2
(3) https://books.google.fr/
(4) The Story of the Irish Race, MacManus, pages 2-6
(5) The Story of Celto-Saxon Israel, Bennett, pages 76-79
(6) Au sujet des tribus disparues on lira avec profit cet article concernant la recherche des descendants actuels de ces tribus http://www.mondedemain.org/revues/2008/septembre-decembre/retrouver-les-tribus-perdues-d-israel
(7) Journal of Theological Studies, 1995, pp.99-117. (note de Cristian Bădiliță)
(8) Tertullien, Adu. Marc. 3,3 ; 3,21 ; 4,6 ; 5,16. (Note de Cristian Bădiliță)
(9) Hill, art. cité, p. 109. (Note de Cristian Bădiliță)
(10) Cf. les pages consacrées à Commodien du présent travail (Note de Cristian Bădiliță)
(11) Le cas d’Irénée est très difficile, voire impossible à clarifier. En effet, l’identité de l’Antichrist est, chez lui, assez imprécise. Il parle à plusieurs reprises d’un tyran, mais n’ajoute rien à son propos, sinon qu’il dirigera le huitième royaume issu de la désintégration de l’Empire romain et qu’il sera un Juif de la tribu de Dan. Il se garde d’identifier l’Antichrist avec un empereur romain, comme ce sera le cas pour Hippolyte ou Commodien. (Note de Cristian Bădiliță)
(12) Cristian Bădiliță, Métamorphoses de l'antichrist chez les pères de l'église, éd. Beauchesnes, 2005, p. 174 https://books.google.be/books?id=RPT49lsnrTsC&printsec=frontcover&hl=nl#v=onepage&q&f=false
(13) Quelques exemples, pris sur internet : https://www.info-bible.org/articles/antichrist.htm (protestant), http://www.la-question.net/archive/2009/11/28/le-chef-des-juifs-l-antechrist.html (catholique)
http://truthfromgod.canalblog.com/archives/2015/07/08/32329855.html (musulman)
(14) Pour plus de détails voir le livre de Fabrice Statuto, L’Antichrist, vers un djihad mondial, 2016, http://www.islam-bible-prophecy.com/apocalypse/
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